Arachné, pour l’éternité (Revisiter un mythe ou une légende) –

8 juillet 2019 6 Par nadine-moncey

Vous ne voulez pas me regarder ? Je vous répugne ? Pourtant, si vous connaissiez mes origines, vous sauriez que l’esthétique ne faisait qu’un avec ma lointaine aïeule qui excellait dans l’art du tissage. Elle faisait des jaloux et parmi eux, la plus puissante de tous : Athéna, une peste sans nom.
Même si vous ne souhaitez pas me voir, car vous me trouvez hideuse, admirez au moins mon travail. Observez la finesse du fil de soie que je fabrique. Contemplez la régularité des filaments et leur trace circulaire. Jugez de la solidité de mon ouvrage. Elle me permet de me balancer sur ma toile au gré de mon humeur. Ce don a été légué à mes semblables d’une génération à la suivante depuis la nuit des temps.
Car il y a bien des années, dans une campagne reculée de la Grèce antique, vivait une jolie jeune fille prénommée Arachné. C’était mon aïeule. Du matin au soir, son voisinage pouvait entendre le bruit saccadé de son métier à tisser. Ses productions étaient si raffinées que les plus riches familles se les arrachaient à prix d’or. Arachné était très fière de son travail et de son succès. Insatiable, elle partit de ville en ville à la conquête de la noblesse de son pays, faisant l’éloge de ses œuvres et en exigeant un prix toujours plus élevé. Il n’était pas question pour elle de vendre ses réalisations aux plus modestes. Ses toiles ne décoreraient que les palais les plus prestigieux.
Le bruit courut qu’Arachné avait étudié cette technique auprès d’Athéna, la déesse des artisans, dotée d’un sens artistique sans équivalent. Vexée par cette supposition, estimant que ses créations étaient bien meilleures que celles d’Athéna, elle ne manqua pas de s’insurger contre ces médisances. Elle refusa même de vendre ses toiles aux acquéreurs les plus fortunés qui croyaient à ces balivernes.
Athéna eut vent de l’attitude d’Arachné et décida de la mettre au défi pour calmer son insolence.
— Ramenez-moi cette arrogante. Je vais lui montrer ce qu’il en coûte de se prétendre supérieure aux Dieux ! Je vais me confronter à elle et nous verrons qui de nous deux l’emportera !
Un concours fut organisé à Athènes. Le jour venu, les deux femmes s’installèrent en vue de confectionner chacune la toile qui confirmerait sa suprématie sur l’autre. Athéna, magnifique créature aux yeux pers, dotée d’une beauté glacée, entreprit la fabrication de son œuvre. Les fils d’or et de pourpre s’égrainèrent entre les doigts racés de la charismatique Déesse. Malgré son armure, on devinait l’élégance de sa silhouette. Près d’elle étaient posés la lance et le bouclier dont elle ne se départait jamais. En face, Arachné pourtant très apprêtée semblait chétive en ce jour de combat et moins sûre d’elle. Soudain, son orgueil prit le dessus. Ce serait elle qui sortirait vainqueur de cette compétition.
Toute la ville était là. Un brouhaha retentit tant l’assistance se montrait passionnée. Les deux femmes s’acharnaient sur leur matériel. Les fils multicolores s’entrecroisaient. Leur dextérité éclatait. Leur corps suivait le mouvement exigeant de la machine. Après de longues heures, le tombé du lissier marqua l’achèvement des tapisseries. Alors, la foule réunie exulta et applaudit la performance réalisée.
Vint le moment où chaque toile fut présentée au public. Celle d’Athéna fut montrée en premier. Les regards admiratifs de milliers d’Athéniens perçurent, dessinée sur le merveilleux ouvrage, la scène de combat qui opposa la Déesse au Dieu Poséidon, et sa victoire. Tout autour de la draperie, des avertissements à l’encontre des mortels qui font preuve de vanité se succédaient. Les hourras furent tels que l’avantage sur sa concurrente parut évident à Athéna.
La toile réalisée par Arachné fut à son tour brandie vers le peuple. Le silence s’abattit sur l’amphithéâtre. La foule était subjuguée. La vision de Zeus à la conquête de ses amantes se déroulait devant elle. Zeus sous la forme d’un taureau, Zeus sous la forme d’un cygne, Zeus travesti pour mieux séduire celles qu’il convoitait. Le travail d’Arachné était prodigieux et une intense émotion submergeait les spectateurs. Beaucoup avaient les larmes aux yeux face à la beauté de l’œuvre qui leur était exposée.
Folle de rage au vu de la réaction de ces humains, Athéna arracha la toile d’Arachné, la réduisit en lambeaux. Elle se jeta sur la jeune femme qu’elle frappa de son épée. Devant la population rassemblée, Arachné se sentit humiliée par la prédominance prise par Athéna qui la métamorphosa en araignée. Peu de temps après, les circonstances dans lesquelles Athéna avait tissé la toile fut révélée par ses détracteurs. Athéna avait été aidée par les Dieux. Sans eux, sa réalisation n’aurait jamais été d’une telle beauté. C’est elle qui aurait été humiliée à la face du monde si elle avait présenté une œuvre médiocre. Avec une toile aussi remarquable, la concurrence avait été rude et Athéna n’avait pas démérité aux yeux du public venu assister au spectacle. Cependant, en trichant.
Arachné décida de se venger, mais comment y parvenir ? Afin de prendre sa revanche, elle utilisa la condamnation infligée par Athéna l’obligeant à tisser pour l’éternité, suspendue aux fils créés par elle. Les palais où Athéna séjournait devinrent au gré de ses déplacements des lieux de prédilection pour Arachné et nous, ses descendantes. Nous savions tellement bien nous cacher dans les recoins de ces immenses demeures que chaque nuit lorsqu’Athéna s’endormait, nous en profitions pour venir diffuser sur son corps, notre venin maléfique. Nous nous attaquèrent aussi à son visage. Sa beauté ne fut bientôt plus qu’un souvenir. Elle se recroquevilla au point de disparaître. Nul n’eut pitié d’elle, car son attitude malhonnête était condamnable. Arachné retrouva son honneur et l’évolution du monde contribua à sa grandeur.
À présent, malgré notre physique ingrat qui peut-être vous déplaît, avec la disparition progressive des insectes, nous inspirons chaque jour davantage le respect. Au fil du temps, vous verrez qu’on nous vénérera comme jamais.