Dans l’espoir d’un seul regard (Nouvelle sentimentale)

3 avril 2019 0 Par nadine-moncey

Lorsque Aude, ma coiffeuse, m’a invitée au show de coiffure organisé par elle dans notre petite ville, je n’ai pas su dire non. Les modèles qui défilaient étaient ravissants. Les coiffures se succédaient, très originales. Les applaudissements fusaient. C’était une réussite. Aude m’avait placée dans le carré réservé aux officiels et à ses plus proches connaissances. J’étais assise dans cette salle de spectacle, le mari de ma coiffeuse à ma droite et son amant à ma gauche. Très occupée, Aude allait deci delà et ne disposait pas de siège attitré tant sa présence était indispensable sur scène comme en coulisses. Je n’étais pas à l’aise. Pourtant, fidèle à Aude, je fréquentais son salon depuis plusieurs années et une relation presqu’amicale s’était créée entre nous. Nous échangions sur nombre de sujets d’actualité ou sur nos lectures, nos voyages, et nous nous appréciions mutuellement. Ma présence était donc justifiée. En me réservant cette place, elle me faisait honneur et je lui en savais gré. Mais que ces deux hommes soient à mes côtés me contrariait. Surtout celui qu’elle prénommait Alexandre. Elle ne m’avait jamais fait aucune confidence à son sujet. Sa discrétion était-elle un aveu sur la nature de leurs sentiments ?
Quand je l’ai vu la première fois au salon, j’ai été séduite par le charme qu’il dégageait. Il a franchi la porte d’entrée. Nos regards se sont croisés. J’aurais tant voulu que cet instant se prolonge. Ses yeux très clairs et l’effet qu’ils me firent, je n’étais pas prête de les oublier. Le moment était mal choisi. J’étais loin d’être à mon avantage : sous l’appareil à vapeur, la couleur verte de ma teinture végétale dégoulinait de toute part ! Il a ponctué son arrivée d’un simple « bonjour ». Il est allé vers Aude. Elle l’a accueilli à bras ouverts. J’ai compris qu’ils se connaissaient très bien et semblaient si heureux de se voir. Je quittai le salon, satisfaite de l’image que je pouvais à présent montrer, les laissant seuls, à regret.
A mon rendez-vous suivant, quelle surprise de le voir apparaître ! Mes pensées s’étaient souvent portées vers lui depuis notre rencontre. Bien que l’espérant, sa présence m’étonna. L’émoi ressenti la première fois ressurgit. Le produit dont ma coiffeuse avait aspergé mes cheveux infusait doucement. J’attendais. Je venais de terminer la lecture du journal local qui trônait sur l’étagère face à moi.
– Puis-je vous l’emprunter ? Me dit-il.
– Faites, j’ai terminé.
Il tendit le bras pour saisir le quotidien alors que je m’apprêtais à lui passer. Nos mains se frôlèrent. Je ressentis à ce bref contact un doux frisson qui ondula jusqu’au plus profond de mon corps. Vraiment, cet homme ne me laissait pas indifférente. Sa voix avait un timbre grave qui eut le don d’amplifier mes sensations. Malheureusement, mon brushing terminé, je pris congé et les laissai à nouveau seuls.
Mon prochain rendez-vous me parut si loin. Même si cela était improbable, je souhaitais vivement sa venue. J’avais troqué le pantalon que j’arborais trop souvent pour un style féminin plus seyant. J’avais décidé d’exhiber mes longues jambes constituant un atout de séduction qui ne m’avait jamais fait défaut. Je dus me rendre à l’évidence. La complicité existant entre Aude et Alexandre me sauta aux yeux. Sa présence systématique au salon ne faisait aucun doute sur leur liaison. Et leurs oeillades de connivence ! Je devais l’oublier. Son coeur appartenait à Aude. Je devais respecter leur amour. Je devais m’effacer. Mes jambes cachées sous le peignoir dont j’étais affublée tremblaient. Une profonde tristesse m’envahit. Pendant qu’Aude procédait à la coupe de mes cheveux, elle parut oublier un instant la présence d’Alexandre. Elle lança à mon attention :
– L’ouverture des magasins le dimanche, j’en rêve !
– Comment ? Et la famille dans tout ça pour ceux qui travaillent !
– Oui, mais le dimanche, c’est tellement morose. Ça mettrait un peu de vie dans les villes.
– C’est que les gens manquent d’imagination pour occuper agréablement leurs dimanches.
Nous défendions chacune nos idées, dans un respect mutuel. Alexandre était dans son coin. Je l’apercevais depuis mon fauteuil. Il était absorbé dans la lecture d’un magazine et semblait perdu dans ses pensées, le sourire aux lèvres. Cette fois encore, je partis du salon la première et m’imaginai le plaisir qui devait être le leur de se retrouver. L’arrière-boutique serait une fois encore témoin de leurs ébats. Installé au bac à shampoing, Alexandre n’eut pas le loisir de voir, à ma sortie, ma tenue et c’était mieux ainsi.
Les jours suivants, l’abnégation, la jalousie, la morosité s’invitaient tour à tour dans mon esprit. La caresse de son regard, de sa peau, de sa voix s’insinuait. Je devais lutter contre ces pensées qui m’obsédaient. J’hésitais entre changer de coiffeuse ou prendre rapidement un autre rendez-vous. J’optai pour la prise de rendez-vous.
Et à chaque fois, il était là. Et à chaque fois, je quittais le salon désenchantée.
Pourtant, j’éprouvais une réelle admiration face au couple qu’ils formaient. Physiquement, ils étaient tellement bien assortis : grands, minces, beaux. Leur visage s’illuminait dès qu’ils étaient en présence l’un de l’autre. De mon côté, je me sentais si seule. Je ressassais mes tourments.
Vint cette invitation. Aude ignorait tout de la torture qu’elle m’infligeait. Elle semblait si heureuse que j’accepte de venir. Je regardais le défilé tout en remarquant les coups d’oeil réguliers qu’elle lui lançait. Sur le podium, Aude annonça l’entracte. Son mari se leva et se dirigea, enthousiaste, à sa rencontre.
Alexandre se tourna vers moi et engagea la conversation. Il ne tarit pas d’éloges sur les qualités d’Aude.
– Je comprends votre attirance.
– Attirance, dites-vous ? Et son beau regard planté dans le mien : je suis surtout très reconnaissant à cette amie de toujours de vous avoir mis sur ma route, de m’avertir de vos dates de rendez-vous chez elle, de vous avoir fait venir aujourd’hui. Vous êtes libre après le spectacle ?