Entorses majeures au règlement de chasse (Polar)

2 août 2019 0 Par nadine-moncey

La foule des grands jours s’est donné rendez-vous au cimetière pour rendre un dernier hommage à cette figure bien connue de la région. Le défunt, Christian de Valenderie, était venu s’enterrer depuis peu dans ce bourg isolé. Fils unique, il avait hérité des propriétés de ses parents et y avait installé sa résidence principale. Sa disparition plonge ses amis de la ville dans la tristesse. Dans son coin, le gendarme Meunier ressasse les récents événements. Un accident de chasse et le nouveau venu au village était passé de vie à trépas.
Il se remémore ses derniers échanges avec le présumé coupable :
— Martin, vous allez me le cracher cet aveu !
— Je suis innocent.
— Bon sang de bonsoir, décrivez-moi ce qui s’est passé et on n’en parle plus.
— Je ne me souviens de rien. Apparemment, j’étais posté et j’ai trébuché. Effectivement, mon arme était chargée. Effectivement le coup est parti. Mais c’est pas possible que cette balle soit allée se loger dans la poitrine de Christian. Pourquoi vous n’interrogez pas plus Michel, le maire du village. Il était à quelques mètres de moi !
— Vous savez parfaitement qu’il était à l’opposé de la zone de chasse. Vous ne pouvez pas vous défiler comme ça.
— Je vous dis que j’ai vu Michel à côté de moi.
— Et vos blessures ?
— Ça s’estompe, sauf cette plaie derrière la tête qui cicatrise mal ! Et ma cheville qui me fait souffrir.
— Vous êtes tombé comment ?
— Si je le savais ! Les gars m’ont dit que j’étais tombé en me prenant les pieds dans des racines.
Meunier avait mis fin à cet interrogatoire qui n’aboutissait à rien.
Quand Meunier s’était rendu sur les lieux sitôt l’appel reçu, les secours étaient déjà là. Il n’avait pu que constater les dégâts causés par le tir dans la poitrine de la victime. C’était pas beau à voir. Le sang avait giclé et ses vêtements étaient maculés. Tout paraissait évident. L’angle de l’impact de la balle, selon l’analyse balistique, condamnait Martin. De plus, la balle retrouvée dans le corps de Christian provenait de son fusil. Pourtant, Martin clamait son innocence.
Le silence qui prédomine en ce début d’après-midi printanier au cimetière ne semble gêner que Meunier. Le fonctionnaire est perplexe à propos de l’attitude de Martin, le présumé coupable qui s’obstine dans un déni invraisemblable. Il scrute du coin de l’œil le comportement des témoins de l’affaire, les expressions hagardes, les regards fuyants, le mutisme de la veuve.
Un seul absent, Martin. Le bougre. Il ne lâche rien malgré ses manquements aux règles élémentaires de sécurité indéniables.
Alors que la cérémonie s’achève, Meunier observe l’ambiance qui règne entre les chasseurs. Ils semblent tous s’ignorer. Pourtant, c’est bien connu, ils sont copains comme cochons, ces quatre-là.
Les groupes se dispersent. Meunier doit au minimum éclaircir les contradictions sur la position des chasseurs au moment du drame.
Le lendemain, à la gendarmerie, Meunier reçoit l’un après l’autre les chasseurs, à l’exception du maire. Les questions du gendarme fusent :
— Quelles relations entreteniez-vous avec la victime ?
— Nous nous connaissions peu. Il n’était pas de notre monde. Il avait des idées farfelues. Il était bien de la ville, celui-là ! Le projet d’usine de méthanisation, c’était lui !
— Lors de cette chasse, êtes-vous sûr que le maire était bien là où vous m’avez affirmé qu’il se trouvait ?
— Je le confirme. Avec sa carrure, on le repère.
— Martin a une tout autre version.
— Oui, mais Martin invente ce qui l’arrange.
Le même refrain est égrené par les trois premiers interrogés. Quelle version obtiendra-t-il du dernier protagoniste, le maire ? Avant de le convoquer à nouveau, une petite visite à la veuve s’impose à lui, histoire d’entendre un son de cloche différent.
Alors que Meunier roule au pas, il aperçoit la voiture du maire dans la cour des de Valenderie dont le vaste portail en fer forgé est resté grand ouvert. Les yeux fixés dans cette direction, il voit le maire descendre l’escalier extérieur portant à la main une valisette. Que peut-il bien transporter dans cette mallette ?
Il doit vraiment le cuisiner. Mais avant cela, il doit vérifier les comptes de la veuve. Il apprend alors que celle-ci a effectué un retrait d’argent colossal.
Dans la foulée, un coup de fil au maire et les voici face à face dans le bureau de Meunier. Celui-ci n’ira pas par quatre chemins, il faut que l’affaire progresse.
— Que pensez-vous des blessures de Martin ?
— Il est tombé à terre et s’est cogné la tête !
— Ça ne vous paraît pas bizarre que sa plaie se situe à l’arrière de son crâne alors qu’il est censé avoir trébuché.
— Je ne vois pas ce que vous soupçonnez ! J’avais pas les yeux rivés sur lui.
— Madame de Valenderie, elle est quoi pour vous ?
— Juste une administrée originaire du village. Pourquoi cette question ?
— Une administrée qui casse sa tirelire et vous confie le butin en toute amitié ? bluffe Meunier.
À ce moment, le visage de Michel se décompose. Il est piégé. Il voit mal comment se sortir de ce mauvais pas. Il se sent coincé et, las, passe à table :
— Nous avions des intérêts communs, elle et moi. Elle, de se débarrasser de son mari pour aller vivre avec son amant ; moi, de tout faire pour éviter l’usine de méthanisation dont mes copains chasseurs ne voulaient surtout pas entendre parler. Les odeurs, les va-et-vient. Du coup, je n’ai pas eu trop de difficulté à les convaincre, surtout que Jeanne allait nous payer pour ça. Avec Jeanne, on se connaît depuis l’enfance. Elle savait qu’elle pouvait m’en demander beaucoup. On a invité Martin et Christian à notre chasse. On leur a administré un sédatif. Martin a commencé à se réveiller. On lui a alors asséné un coup sur la tête et on s’en est pris à sa cheville pour conforter l’idée de la chute. On a tout mis en scène pour que l’enquête conclut à un accident de chasse dont Martin était à l’origine. Quand il a repris ses esprits, on lui a expliqué qu’il était tombé et que le coup de feu était parti. Comme il ne se rappelait de rien, ça nous a semblé facile.