Et tout ça pour le chat

Et tout ça pour le chat

6 octobre 2021 1 Par nadine-moncey

Cette fois encore, Dieu s’était lancé dans une création sans en mesurer les conséquences, sans percevoir les travers indésirables de ses réalisations. Sa vision de lui-même était-elle erronée ? Voulait-il ignorer à tout prix sa part d’ombre ? Nul ne le sait. Il souhaitait simplement que son invention, le chat, lui ressemblât. À court terme, il fut satisfait du résultat. Mais rapidement, il constata les insuffisances de la bête. Il en fut chagriné.

En effet, le Créateur, en travailleur acharné, ne s’accordait que peu de répit. L’humanité le sait trop bien puisqu’elle définit l’emploi du temps initial de Dieu de manière précise : création de la lumière, du firmament, leur succéda la Terre avec ses arbres, ses fruits, vint ensuite la mise en ordre de l’Espace, des étoiles et des saisons, puis naquit le règne animal, principalement les oiseaux et les poissons et après, les races domestiques tel le chat. Pensant son œuvre achevée, il avait abandonné son rythme effréné, souhaitant enfin se reposer. Quelle déception ! Il ne retrouvait pas dans le félin l’acharnement qui guidait sa vie.

Il s’était rendu à l’évidence : cet animal ne se contenterait toujours que du minimum. Il ne voyait que son bien-être : manger, boire, dormir, à condition d’être servi, et chasser un tant soit peu. Quand Dieu en eut assez de devoir tout lui apporter sur un plateau, de passer un temps infini à le bercer pour adoucir son sommeil, lui vint à l’esprit l’idée de se trouver un remplaçant, apte à accomplir les moindres envies de la bête. Dieu créa l’Homme pour cet usage. Sans cette intention de Dieu de se débarrasser des tâches que lui imposait, sans en avoir l’air, le chat, l’Homme n’aurait jamais vu le jour. On peut se demander si la Terre aujourd’hui n’en remercierait pas le Créateur. Mais, là n’est pas le propos.

En tout cas, le chat ne semblait pas préoccupé par les aspirations de Dieu. L’essentiel pour l’animal résidait dans le fait d’être servi, que ce soit par Dieu ou par les hommes. L’un comme l’autre étaient pourvus d’une telle conscience que le travail qu’ils effectuaient à son bénéfice se révélait toujours convenable. Rien à redire. Son apathie légendaire ne souffrait aucunement. Tout lui allait. Il ne demandait rien de plus.

Quant aux hommes, Dieu ne les ménagea pas. Dotés du meilleur comme du pire, ils n’avaient qu’à se débrouiller avec les caractéristiques dont ils avaient été nantis. Chez eux, c’était un peu : « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? » Ça avait l’air de plaire à la majorité. Ils n’étaient pas avares d’innovations. L’esprit de compétition pour principal carburant. Celui qui réaliserait l’objet le plus extraordinaire créé pour le plaisir du chat atteindrait le piédestal tant convoité. Surtout, se faire remarquer ! Le regard des autres humains comptait beaucoup. Il fallait compenser le manque d’égard du chat qui le snobait sans vergogne. Des remerciements, il en recevait peu émanant du chat qui d’ailleurs n’en demandait pas tant. Quelques ronronnements exprimés selon son bon vouloir et avec parcimonie, mais sans plus. La plupart du temps, le chat le toisait, hautain.

En spectateur, Dieu observait les hommes et veillait au grain. Il ne se sentait pas prêt à reprendre du service. Il fallait que les hommes assurassent. Et ils s’en tiraient plutôt bien. Dieu, en parfait manipulateur, était arrivé à ses fins et même davantage : il voyait l’homme asservi, se prosternant toujours plus devant ce chat, objet de toute son admiration, flattant son ego, se rabaissant jusqu’à y perdre sa dignité, se courbant sur son passage, tentant d’obtenir une once de reconnaissance. Le chat était devenu le centre du monde.

L’homme espérait créer des besoins supplémentaires au chat, aspirant à lui paraître le plus agréable possible pendant que l’autre n’en avait que faire. Plus de confort ? Le chat ne méprisait pas ce petit plus, mais savait parfaitement s’en passer sans qu’il y ait péril en la demeure. Pour y parvenir, l’homme n’imposa aucune limite à son imagination, concevant des ustensiles superflus, produits en nombre, au risque de chambouler les équilibres de la nature.

Pour l’homme, il était impensable que le chat puisse manquer de chaleur.

« Mon Minou, que penses-tu de ce superbe feu à l’âtre ? »

C’était mal le connaître ! L’homme mit tout en œuvre pour contribuer au réchauffement de la planète. Ainsi, les chats pourraient prospérer dans tous les recoins du monde pourvus d’une température considérée comme convenable.

Pour l’homme, la rudesse d’un sol pour la sieste du chat était inconcevable. L’esclave sua sang et eau pour procurer à son idole les couches les plus douillettes.

« Mon Minou regarde ce coussin moelleux ! », alors qu’avachi sur quelques brins d’herbe, il jubilait.

Pour l’homme, la frugalité frôlait le dépouillement. Que le chat se contente de croquer quelque souris : inimaginable ! Il lui inventa des croquettes spécifiques, répondant à ses besoins propres, selon son âge, sa race, sa corpulence, lui fournissant tous les apports nécessaires pour renforcer ses défenses naturelles, prévenir les dysfonctionnements de ses reins, allégées pour éviter sa prise de poids et j’en passe… Pour le chat, le goût laissait à désirer, mais l’habitude…

« Régale-toi, mon Minou ! »

Pour l’homme, le chat devait impérativement s’adonner aux joies du jeu. Alors que jouer à chat perché, multipliant les charivaris sur les branches des arbres lui suffisait amplement, il était censé attraper les marionnettes de tissu lancées indéfiniment par l’homme qui s’obstinait à les lui offrir. L’homme, une fois encore, était à côté de la plaque. Il ignorait que la chasse représentait le loisir principal du chat.

Toutes les inventions des hommes pour choyer les chats, et surtout faire en sorte de supplanter leurs condisciples, avaient dépassé outre mesure les espoirs que Dieu avait fomentés. Dupes de la machination orchestrée par le Tout-Puissant, les hommes poursuivaient avec orgueil leur chemin et c’était bien ainsi.