Numéro 17 à l’appel (Nouvelle à partir d’un fait divers)

9 mars 2019 2 Par nadine-moncey

— Ici le Commissariat du 20e arrondissement, à votre écoute.
— …
— Allo ! Commissariat du 20e, je suis à votre écoute.
Pas de réponse. Le policier du centre de traitement du 17 « police secours » se concentre sur ce qu’il entend dans son casque : la voix lointaine d’un homme surexcité.
— C’était dégueulasse à midi. C’est pas en réchauffant que ce s’ra mieux. T’es même pas capable de cuire des œufs ! Tu m’épuises.
Il enchaîne :
— Quand je reviens du travail, tout doit être prêt. Ça va rentrer dans ta tête ? hurle-t-il.
Des sanglots retentissent. Le bruit d’une gifle. Le flagrant délit est constitué.
Le policier comprend. Une femme en danger cherche de l’aide. Le mari ne s’est pas aperçu de l’appel de son épouse au 17. Le policier relève sur son écran les renseignements permettant de localiser la communication et libère la ligne. Rapidement, la patrouille formée pour porter secours aux victimes de violences conjugales est dépêchée sur les lieux. Munis des éléments nécessaires, Gilles, brigadier et Véronique, gardien de la paix, grimpent dans le véhicule. Le brigadier prend le volant. Il faut faire vite.
Une boule au ventre empêche Véronique de respirer. La rage se mêle à la peur comme lorsqu’elle était enfant et que son père brutalisait sa mère. Sa vocation vient de là. Aider les victimes de cruautés subies dans le cercle familial est sa raison d’être. Elle se souvient des prétextes utilisés par son père pour rendre la vie de sa mère impossible. C’était le journal qui n’avait pas été reposé à tel endroit. C’était une chemise qui n’avait pas été pliée comme elle devait l’être selon lui. Tout y passait. La sauvagerie s’invitait : cheveux tirés, bousculades, coups. Ça claquait fort. Des « sans moi, tu n’es rien » et des « si tu me quittes, je te tue », elle en avait entendu. Et les excuses, et les regrets. Instiller la culpabilité, il savait faire. Dans cet environnement, elle-même avait été victime indirectement de ce comportement.
Elle sent la colère monter de plus en plus en elle contre cet individu qui, à cet instant, menace sa compagne. Arriver rapidement au domicile de ce couple est la préoccupation première des deux équipiers. La voiture banalisée se fraye avec difficulté un chemin. Le brigadier installe sur le toit l’avertisseur lumineux pour fendre plus efficacement le flot de la circulation. Il double à gauche, double à droite. L’un et l’autre n’ont qu’une hâte : franchir la porte du pavillon où ils doivent se rendre avant qu’il ne soit trop tard.
Malgré l’expérience, le stress se fait ressentir. À un carrefour, un attroupement oblige le véhicule à stopper : un rassemblement improvisé. Des manifestants envahissent la chaussée. Des banderoles s’agitent. Avec toute l’adresse nécessaire, le brigadier parvient à contourner le groupe et poursuit son itinéraire. La berline file à vive allure. La pluie fait son apparition. Un piéton pressé se jette sur la route. De justesse, la voiture de police l’évite. L’esprit de Gilles oscille entre les aléas de la conduite dans Paris et la compassion qu’il ressent. Rouler dans de telles conditions, quel exploit. C’est tous les jours pareil ! Une fois encore, la vie d’un être humain est entre ses mains et arriver au plus vite est capital.
La connexion téléphonique avec le central sort les deux agents de leurs pensées.
— Vous en êtes où ? Ça s’envenime ! J’ai reçu un deuxième appel de ce numéro. Personne n’a parlé, mais j’ai entendu un grand bruit, comme du verre fracassé, un hurlement de voix de femme et plus rien. C’est cela qui m’inquiète. Je crains qu’elle ne soit plus en état de dire quoique ce soit. J’ai envoyé les secours, au cas où…
— On fait le maximum, s’écrit Gilles, mais on subit tous les inconvénients de la circulation aujourd’hui, comme si c’était fait exprès. Nous approchons. Nous ne devrions plus en avoir pour très longtemps. Nous avons quitté les grands axes et la rue où nous nous rendons est plutôt paisible.
La maison dans laquelle se déroule la scène apparaît. Elle semble tellement calme. Petit pavillon coquet dans une allée déserte de Paris. L’image du bonheur ! C’est fou comme on peut ignorer les drames se jouant derrière des façades muettes. Il n’est pas faux de dire que la violence conjugale existe dans toutes les couches sociales. Qui pourrait croire qu’elle a lieu là.
L’accès à la maison devrait s’effectuer assez facilement. Une simple grille et un portillon à ouvrir. Les deux policiers montent les quelques marches du perron. Ils perçoivent de l’autre côté de la porte d’entrée des éclats de voix. Une tonalité féminine. Ouf, elle est en vie. Le gardien de la paix appuie sur l’interrupteur de la sonnette. Dans sa furie, le couple n’a sans doute pas fait attention au signal émis, car la scène est encore très violente. Le bouton électrique est activé une seconde fois. Toujours rien !
D’un commun accord, les deux policiers défoncent la porte, pénètrent à l’intérieur, arme au poing. Pas de réaction. Seulement des gémissements de douleur beaucoup plus intenses. L’homme ricane. Gilles devine que Véronique ressent fortement l’envie d’étrangler ce type. Il le voit à l’expression de son visage. Par un froncement de sourcils, il parvient à la modérer. Une bavure est si vite arrivée ! Elle retrouve son sang-froid. Leur intervention peut se poursuivre. Ils communiquent par signes et ensemble, bondissent dans la pièce, lançant les sommations d’usage : « Police, plus un geste ! »
Ils découvrent alors un homme âgé, assis sur son canapé, devant le petit écran. La puissance sonore de l’appareil est à son maximum. Il a dans ses mains son téléphone portable et s’active sans succès sur le cadran. À l’écart, sur la table du salon, les policiers aperçoivent la télécommande du poste de télévision. Les images qui défilent sous le regard angoissé du vieillard s’avèrent d’une extrême barbarie, sur fond de scène de ménage aux accents dramatiques !
Il aurait tant voulu passer sur la 17 !