Subtiles rencontres en héritage (Nouvelle à partir d’une liste de mots)

16 avril 2019 0 Par nadine-moncey

Ai-je fait le bon choix ? se demande Marie qui s’est installée au début de l’été dans la maison de famille dont elle a hérité. Un départ en retraite, une rupture sentimentale l’ont conduites ici, dans ce lieu pouvant être compatible avec la nouvelle vie qu’elle doit se construire. La nécessité de résider ailleurs s’étant imposée à elle, elle a rejoint ce petit coin du sud où résident peut-être encore des cousins perdus de vue et où elle espère trouver à présent son paradis pérenne.
Clic. La ceinture de sécurité des derniers visiteurs de la belle saison est bouclée. Marie ressent un pincement au cœur en regardant le véhicule s’éloigner puis rentre dans la maison. Elle erre de pièce en pièce, effleure un à un les objets pour mieux se les approprier. Son regard s’attarde sur un petit coffret joliment décoré, posé négligemment, qu’elle s’étonne de n’avoir jamais remarqué. Elle l’empoigne. Il est fermé à clé. Elle verra ça plus tard… Elle le dépose là où elle l’a trouvé en se disant que le style de cet objet ne lui est pas étranger. Désoeuvrée, elle se demande comment occuper sa première journée seule dans son nouveau logis. Elle monte au grenier car il faudra bien un jour qu’elle s’attelle à son rangement. Au seuil de cet espace mansardé, ses forces l’abandonnent par avance : que de choses entreposées ! Elle avance et échoue près d’une malle sur laquelle elle lit son prénom écrit de la main de sa mère. A l’intérieur, ses trésors d’enfant : aquarelles inachevées, poèmes lyriques, la flûte qui lui a permis de faire ses premières ébauches musicales, ses déguisements de princesse et des cahiers d’écolière, le tout sens dessus dessous. L’ordre que maman a dû apporter au rangement de ce coffre a sûrement été chamboulé après toutes ces années, se dit-elle. Émue par ses trouvailles qui dénotent l’intérêt pour les arts qu’elle éprouvait à cette époque, elle se demande comment l’enfant rêveuse a pu s’orienter adulte vers un métier scientifique. Naviguer dans le génome humain a pourtant été sa raison d’être pendant des décennies. Sur ce fatras, une poupée d’allure récente sourit allongée sur sa couette qui sent bon la lavande. Étonnante la fraîcheur de ce parfum dans ce coin oublié !
Elle n’en fera pas plus pour ce jour et descend vers la bibliothèque. Elle passe en revue les différents ouvrages qui y ont été déposés au fil des années. Elle retrouve des romans lus adolescente. Son regard s’arrête sur Clair de terre, recueil poétique d’André Breton. Elle s’en saisit et prend place au jardin. Un moment de lecture l’occupera. Tout à coup, elle lève les yeux de son ouvrage. Il lui semble avoir vu une ombre se profiler… C’est sans doute le fait d’être seule, se dit-elle ne voulant pas céder à la panique. Soudain, un bruit provenant de l’intérieur de la maison parvient à ses oreilles, comme si quelqu’un s’était cogné contre un meuble. Elle sent dans sa poitrine son cœur battre la chamade. Elle se lève, se dirige vers le bâtiment. Elle veut savoir ce qu’il en est. Un coup d’oeil, jusque dans les étages, la conforte dans l’idée que tout est normal et que seule son imagination est à l’origine de ses perceptions. Et le parquet qui grince ? Quoi de plus naturel ? Puis voilà qu’elle entend une porte claquer au rez-de-chaussée.
Probablement un simple courant d’air ! Haletante, elle dévale les escaliers et ferme toutes les issues. D’ailleurs, la nuit va commencer à tomber. Il est temps pour elle de rester à l’abri. La soirée et la nuit se déroulent calmement. Inquiète malgré tout, son sommeil est gêné par des micro-réveils au cours desquels elle est consciente d’être à l’affût de quelque bruit pouvant émerger.
Au matin, elle décide d’ignorer ses singuliers ressentis et se lance dans une opération qui lui tient à cœur : transformer le salon qui mérite un sérieux rafraîchissement. Elle observe cette salle dont l’aménagement laisse à désirer. Un papier, un crayon et son projet d’agencement prend forme. La liste des achats à effectuer dans les magasins de décoration en main, elle se prépare pour une journée d’emplettes dont elle rentre éreintée. Tiens, je n’aurais pas fermé ma porte à clé en partant… ? Par bonheur, se rassure-t-elle, l’endroit est tellement retiré qu’il n’y a nul besoin ici d’alarme ou de capteur pour être en sécurité. Elle range les fruits de son périple en ville. Un grand chantier l’attend. Le petit coffret en évidence sur la cheminée ? Elle ne se souvient pas de l’avoir déposé là. Certainement la fatigue !Elle s’installe confortablement dans son fauteuil bergère afin de récupérer un peu d’énergie. Elle s’assoupit. Un bruit métallique la sort de son sommeil. Elle a dû rêver… Elle se lève et voit briller, sur le guéridon à proximité, une clé. Elle va de surprises en surprises, ce qui n’est pas pour la tranquilliser. Comment cette clé a-t-elle pu atterrir là ? Elle comprend qu’elle va pouvoir ouvrir le fameux petit coffret. Elle fait abstraction des mystères qui l’entourent et le cherche des yeux. Disparu ! Un frôlement la surprend. Elle pousse un cri aigu. Un chat s’est introduit chez elle. Ouf ! Mais au même moment, dans le miroir posé au sol face à elle, apparaît un joli minois. Son image d’elle-même quand elle était enfant ! Vision ou réalité ? Elle se retourne.
qui es-tu ? dit-elle à la jolie blondinette, vêtue telle une fée, ses ailes déployées, qui la toise.
je suis Manon.
tu as l’air de bien connaître cette maison. Tu es l’auteur des faits étranges qui s’y déroulent depuis hier ?
Mamie me dit que je te ressemble. Je me suis cachée pour te voir. Tiens, prends cette boîte. Elle l’a fabriquée pour toi. Il y a un message à l’intérieur.
Marie lit :
« Bienvenue au pays. J’ai hâte de partager avec toi de nouveaux éclats de rire, nos souvenirs et tout ce que l’avenir nous réserve. Dis-moi si cela te tente. Merci de donner ta réponse à ma chère petite messagère. Ta cousine Estelle qui t’embrasse. »
Enchantée, Marie serre dans ses bras la petite Manon et signe là les prémices de sa nouvelle vie.