Le chemin vers l’avènement

Le chemin vers l’avènement

8 avril 2023 6 Par nadine-moncey

« Qui pourrait imaginer à la voir si fluette qu’elle puisse se comporter dans l’action avec autant de volonté ? Sans elle, je ne serais pas là. », pense le futur souverain, songeur, en ce 17 juillet 1429, alors qu’il s’apprête à franchir le seuil de la cathédrale de Reims.

Tout a commencé lorsque la « pucelle d’Orléans » a entendu des voix. Elle était âgée de treize ans, Jeanne, quand elle perçut pour la première fois les paroles célestes.

Une voix pure s’était échappée d’un halo immaculé. Une terreur immense l’avait envahie. À cette première apparition, d’autres succédèrent. Du jour où elle reconnut Saint-Michel l’Archange, sa peur s’était évanouie. Des anges du paradis l’entouraient. Le choc que lui causèrent ces visions la plongea dans un état d’introspection l’accompagnant pendant des semaines. À chaque instant, elle espérait retrouver l’émotion que ces irruptions lui procuraient.

Un jour, le Saint lui confia la mission de sauver le royaume de France de l’envahisseur :

« Le moment venu pour toi, tu iras hardiment. Quand tu seras près du roi, il aura bon signe de te recevoir et de te croire. »

Elle ne s’en était livrée à personne de crainte d’être rejetée par les siens.

Les années passèrent et Jeanne vécut avec bonheur d’autres apparitions. Même si elle n’en dit mot, elle était fière au fond d’elle-même d’être l’élue en charge d’accompagner Charles VII, sur le chemin de délivrance du peuple de France.

Quand le moment d’agir était apparu, à l’aube de ses 16 ans, surmonter tous les obstacles semés sur son chemin au départ de Domrémy ne fut pas une mince affaire pour la jeune bergère. Robert de Baudricourt, capitaine de la place de Vaucouleurs, qu’il avait fallu convaincre, lui avait établi une lettre d’accréditation. Cela avait facilité son accès vers celui qu’elle avait pour mission de mener à Reims.

À Chinon, elle réussit à rencontrer Charles VII. Il l’écouta malgré la désapprobation de ses conseillers. La prophétie locale disant qu’une pucelle des marches de Lorraine sauverait la France et la force de conviction de Jeanne avait conquis le « petit roi de Bourges », comme on le nommait. Il s’était montré prêt à la suivre dans ses prophéties.

L’opiniâtreté de Jeanne permit la libération d’Orléans. Elle concrétisait ainsi une des demandes divines. Puis Beaugency, Meung-sur-Loire, Auxerre, Troyes, Châlons-sur-Marne, en territoire hostile, leur ouvrirent leurs portes, à elle et son armée. Lassées de la domination anglaise, ces villes avaient choisi leur camp.

En quelques jours, les autorités rémoises s’ébranlèrent. Il fallait organiser au plus vite le sacre de Charles le Victorieux, arrivé la veille pour sa consécration. Dans l’impossibilité de jouir des ornements royaux — l’épée et la couronne de Charlemagne, le sceptre et la main de justice — détenus par les religieux de la basilique de Saint-Denis, on avait considéré que des objets moins précieux feraient l’affaire.

L’instant est solennel. Depuis le Palais du Tau, le cortège s’étire. Venant de l’abbaye Saint-Rémy, arrive la procession qui escorte la Sainte Ampoule, contenant l’huile sacrée dont quelques gouttes servirent lors du baptême de Clovis.

Charles, les yeux sombres, le long nez courbé, le menton rond, l’armure recouverte d’une cape pourpre s’avance à pas feutrés dans la nef. La lumière à l’intérieur de l’édifice le plonge dans un état de contemplation. Son regard fixe avec enchantement les vitraux aux mille couleurs, surplombant le chœur. Parvenu devant l’archevêque Regnault de Chartres qui va présider l’office, il perçoit à ses côtés les pairs ecclésiastiques et, à l’opposé de l’autel, ses pairs laïcs. Derrière ces nobles cœurs, Jeanne trône, tenant fièrement de la main gauche l’étendard, bannière blanche au champ semé de lys, que le roi lui a accordé. Le recueillement plane dans l’édifice où va se dérouler la célébration. Entre les textes bibliques s’intercalent les psalmodies de cantiques évanescents. Les litanies énoncées, l’onction royale est pratiquée par le maître de cérémonie. Jeanne voit l’aiguille d’or effleurer la tête, la poitrine et les paumes du nouveau souverain. Ce geste signe la capacité de Charles VII à régner sur le peuple de France. Les instruments rassemblés qui lui confèrent son rôle sacré lui sont remis. Le roi se dirige vers le trône de bois sombre, recouvert d’un velours éclatant. Il adresse à Jeanne un regard de gratitude. Sans elle, cette consécration n’aurait pas pu se dérouler. Elle sait qu’il s’est promis de lui apporter toute la protection dont elle aura besoin. Il a perçu la rage des Anglais. Il les a sentis prêts à en découdre pour capturer celle qui a contribué à leur subtiliser le trône de France. Si les envahisseurs parviennent à s’emparer d’elle, ils seront capables de la faire juger pour hérésie. Ses visions ne sont pas du goût de ces intrus. S’ils réussissent à l’attraper, ils la brûleront vive sur la place publique. Une garde rapprochée, c’est cela qu’il échafaude autour d’elle, car il lui doit tant.

Dans l’édifice inondé d’une foule recueillie, elle est sortie de sa rêverie lorsqu’elle a entendu : « Vivat Rex in Æternum ».

L’exclamation envahit la cathédrale jusqu’au plus profond des pierres et des excavations. La sonnerie des trompettes jaillit de toutes parts. Charles rejoint son peuple dans son habit de roi de France. Il se présente devant le public venu l’acclamer sur le parvis de la cathédrale. Les yeux s’emplissent de larmes de joie.

Dans le Palais du Tau, les tables sont dressées pour le banquet succédant à la cérémonie. Les seigneurs et leurs suites se congratulent, restaurés. Ils ne cachent pas leur satisfaction face à cet événement inespéré et se prosternent devant leur souverain.

Lorsque Jeanne entre dans la salle d’apparat, une haie d’honneur se forme pour celle qui a accompli les premières de ses divines missions. Elle profite de cet instant pour aviser le roi de la poursuite de ses intentions :

« Sire, est maintenant venu le temps de libérer Paris ! »